Les passants condidérables

Les passants considérables [Texte imprimé] / Olivier Verley. - Cergy-Pontoise : Points de suspension, 2002 (Baillet-en-France : Impr. Leaderfab). - Non paginé [96] p. : ill., couv. ill. ; 26 cm.

Bibliogr., 1 p.
ISBN 2-912138-25-6 (br.) : 19 EUR. -


La traversée des images

Quand j’ai rencontré Olivier Verley pour la première fois, il pratiquait le paysage en noir et blanc.
Fadi Zahar, qui tient une librairie de référence sur la photographie à Paris, avait souhaité que j’accompagne d’un texte introductif l’exposition de paysages programmée dans l’une de ses galeries. Des paysages que j’apprécie tout particulièrement, à la fois pour ce qu’ils représentent : une campagne française à laquelle je me sens très attaché, et pour leur forme : une composition claire et maîtrisée. J’aime ces ciels qu’il sait rendre présents, mais pas forcément chargés, ces terres cultivées du Vexin et du Gers dont les lignes sont harmonieuses, ces ponctuations marquées par des arbres solitaires. J’approuve enfin ses références à Pierre de Fenoyl, paysagiste de grand talent avec qui il a travaillé durant les trois dernières années de sa vie.

Il y a quelques mois, Olivier Verley est revenu avec un nouveau projet, constitué d’images radicalement différentes. Seul lien avec le passé, le noir et blanc. Pour le reste, j’ai eu d’abord le sentiment de ne plus m’y retrouver : il était comme un autre photographe, une autre personne. Satisfait d’avoir accompli quelque chose de nouveau pour lui, et en même temps un peu anxieux de savoir comment son orientation vers un autre genre photographique allait être appréhendée par les regards extérieurs.
Il faut dire qu’il n’est pas aisé aujourd’hui de changer à la fois de sujet et de style, de prendre le risque de ne plus être reconnu, à l’heure où l’artiste doit sans cesse consolider son « image »  et démontrer ses capacités à re-produire ce qui « marche ». Il semblait avoir ignoré ces considérations – et c’est tout à son honneur.

 Face à lui donc un enjeu de taille : dresser le portrait d’une ville. On aurait pu imaginer qu’il aborde la ville en question – en l’occurrence celle de Cergy – à travers sa configuration physique, architecturale. Il a préféré une démarche plus audacieuse en ce qui le concerne, celle qui consiste à se lancer dans une rencontre avec ses habitants et dépasser le simple cadre de la photographie. C’est à dire les approcher, parler avec eux, recueillir leurs témoignages, et envisager la pratique proprement dite du portrait d’une autre façon. En bref, un inventaire visuel, humain, verbal, social, culturel, politique, voire psychologique…
Et au bout de plusieurs mois de labeur, se retrouver face à une double question : selon quelle logique articuler tous ces documents les uns par rapport aux autres – les images et les mots -, mais aussi dans quel ordre présenter ces gens avec lesquels il avait établi un dialogue ?

Parallèlement à cette question se pose de façon inévitable celle de la représentativité de l’échantillon de population ainsi constitué. Car même totalement libre comme il a pu l’être dans sa démarche, il a sans cesse gardé à l’esprit l’objet de la commande : donner des habitants de Cergy une image significative, partant ainsi du principe rappelé par le Maire de Cergy que ce sont eux qui font la ville : « Une ville, c’est une abstraction qui s’incarne d’abord dans ses habitants ».
D’un point de vue strictement photographique, il est intéressant de se demander pourquoi avoir choisi de mettre en œuvre de façon systématique deux pratiques différentes du portrait, de proposer chaque fois deux visions de la même personne ; deux visions qu’Olivier Verley considère comme complémentaires. De même qu’il considère que la photographie seule, ne peut restituer de manière satisfaisante le contenu de ses rencontres : les mots en « disent » plus, ou disent autre chose – éternel débat quant au pouvoir comparé des mots et des images.

Quoiqu’il en soit, cette précaution qui consiste à réunir plusieurs visions d’un même sujet et à mêler le mot à l’image traduit une forme d’humilité tout à fait louable devant la tâche à accomplir. On ne peut toutefois s’empêcher d’interpréter les deux modes d’écriture photographique, à savoir, très schématiquement, le flou et le net. Le premier, qu’il faut absolument débarrasser de ses vulgaires connotations négatives, est conçu ici comme une expression du mouvement, donc un moment de vie – et non une approximation ou un raté. Tandis que le second donne une vision plus posée, pour ne pas dire plus pondérée du sujet, une approche plus cadrée, plus détaillée.
Mais rien ne permet pour autant d’affirmer qu’une image nette est plus vraie ou plus juste qu’une image floue. La vérité, la justesse sont parfois du côté du mouvement, dans le fait de laisser le geste imprimer des formes inattendues, aléatoires, dans l’espace de la photographie. Car l’opérateur a choisi dans l’un des deux portraits de pratiquer chaque fois une pause d’une seconde, c’est à dire un moment relativement long au cours duquel une place est laissée au hasard dans le processus de matérialisation de l’image. Un hasard qui rend le sujet plus transparent ou plus opaque, plus mystérieux, en tous cas différent de celui qui apparaît dans l’autre portrait réalisé normalement, au 1/60 ou au 1/125 seconde.

On pourrait à propos de ces diptyques développer la comparaison dans d’autres directions et laisser filer la métaphore : d’un côté la rigueur du document, l’analyse, de l’autre l’expérience de la forme, l’interprétation ; d’un côté l’image objective, de l’autre l’image cachée. Le sujet du portrait se loge sans doute entre les deux, ou dans la combinaison des deux. En quelque sorte là où la parole intervient.

C’est ainsi que dans ce livre, on est invité à passer d’un registre visuel à l’autre et à découvrir, grâce aux témoignages recueillis, un peu de ces existences très diverses, à traverser en quelque sorte les images pour approcher celles et ceux qui composent la ville de Cergy.

Gabriel Bauret, préface, les passants considérables, éditions Points de suspension.

Commissaire d’exposition
Et auteur d’ouvrages sur la photographie.

Les passants considérables, une expression identitaire

Une ville est une abstraction qui s'incarne d'abord dans ses habitants.
Cergy, ville nouvelle, et l'agglomération dans laquelle elle s'inscrit -et pour laquelle elle entend jouer un rôle dynamique- procèdent de caractéristiques urbanistiques et architecturales issues d'un projet singulier et novateur. Durant les trentes dernières années, histoire récente, Cergy, ville d'accueil, ville de mobilité, s'est trouvée confrontée aux redoutables questions que sont l'affirmation de son identité, la constitution d'un territoire de référence, d'un endroit à partir duquel on parle, on agit, on existe. Préoccupée de trouver des réponses à ces questions, la municipalité s'est engagée, par un nouveau projet urbain, à prolonger ces caractéristiques et cet esprit qui fonde la ville.
Ambitieux projet puisqu'il ne se résume pas à l'aménagement de l'espace mais inclut, requière le déploiement et le développement de toues les composantes d'une politique publique. Ambitieux projet puisqu'il se donne pour objectif de placer la cité - les citoyens, la démocratie - au cœur de la ville.
Une perspective de cette ampleur ne peut être tracée, ses objectifs ne peuvent être atteints que si les habitants et tous ceux qui contribuent par leur savoir, leurs compétences professionnelles, leur investissement social à la réalité de la ville, à sa physionomie, à ses contours y adhèrent, s'y impliquent. Elément vivant, élement mouvant, la ville est un vaste ensemble qui se structure, se déploie, s'organise grâce et au bénéfice des individus de tous âges, de toutes origines qui y résident, qui y travaillent.
L'action initiée par la direction du Développement Culturel et mise en œuvre par Olivier Verley, photographe qui jusqu'alors s'était davantage attardé sur les paysages que sur les visages et dont nous vous présentons le résultat dans cet ouvrage, s'emploie précisément à restituer cette composante humaine à laquelle nous sommes particulièrement attentifs.
Dans leurs innombrables diversités, ces passants considérables - qui méritent considération - sont la représentation, parmi d'autres, des populations qui concourent à faire de la ville un objet singulier, complexe, jamais définitif ; un lieu d'une ambition collective où chaque participant doit trouver sa place, doit pouvoir exprimer sa personnalité.
Les propos de ces passants, témoins actifs, rendent compte de façon nostalgique, drôle, affective, parfois poignante de cette singularité.
Olivier Verley, artiste à la renommée croissante, utilisant les ressources de son art et de sa technique, s'est attaché à rendre compte de la double réalité qu'est l'affirmation posée de la personnalité, fixée si ce n'est figée dans l'instant, et son tremblement, son déplacement régulier, imperceptible, source d'enrichissement, d'étonnement et propice à la rencontre de l'Autre.
Mouvement qui, parfois, rend flou, imcompréhensible, déroutant le sens de nos actes, de nos réactions. Nous sommes alternativement nets et flous, statiques et en progression. C'est le plus souvent dans l'entre-deux de ces postures successives, finalement indifférenciées, que s'affiche notre authentique originalité.
Une exposition, un livre sont là pour rendre compte de ce surgissement identitaire.

Dominique Lefebvre
Maire de Cergy
Président de l'Agglomération de Cergy-pontoise