Le 13 octobre 2005, 12 h.
Plateau d’Auvers-sur-Oise
«Pourquoi ne pas nouer un lien d'amitié avec un arbre ? Fidélité, ponctualité, habit somptueux une fois l'an, humilité, générosité pour les vents d'hiver qui le traversent. Je sais toujours où le
rejoindre, jusque dans les brumes les plus épaisses, et pas de paroles inutiles et vaines. Son nom : Victor.»
Don Quichotte. Et s’il réapparaissait…
Le souvenir des moulins combattus en vain.
Lui, roulé dans la farine, verrait-il, juché sur Rossinante, les innombrables éoliennes d’Espagne, moulins à prière dans l’éther, à la poursuite du vent ?
Aura-t-il retenu la leçon, au point de s’en faire des alliées, des dulcinées ?
Sur le bord des routes, si un bouquet devait être déposé partout où la vie s’est interrompue, la France apparaîtrait aux conducteurs qui la traversent comme un des
pays le mieux fleuri de la planète. Mais ceux qui sont allés dans le décor, entraînant avec eux d’autres corps, ne font pas tous partie du décor. Pourtant, ce qui relie les fleurs à
l’absence de fleurs, c’est la manière dont chaque être disparu se révèle en brillant par son absence.
« Où que tu ailles, marche doucement, car tu marches sur les morts », écrit le poète anglais Keats.
La photographie affronte, comme tous les arts visuels, une crise profonde de la représentation.
Qu'est-ce que représenter ? Le dictionnaire historique de la langue française offre une réponse : Faire apparaître, rendre présent » et plus loin, dans la même définition : « ...livrer à la justice... remplacer quelqu'un. Le premier sens est de faire apparaître sous une forme concrète ou symbolique quelque chose d'abstrait » .
Les étangs de la Brenne.
Je découvre cette partie du Berry au cours de l'hiver 2000, invité par une amie originaire de ce pays que l'on nomme "aux mille étangs". Elle y possède encore le sien et s'y rend chaque année pour assister au rituel saisonnier et très attendu de la pêche, rituel qu'elle ne manquerait pour rien au monde.
Ce que je retiens de ce paysage tient dans ces deux mots : une âpreté merveilleuse.
En décembre 2002, mon ami photographe Yann Matton me traîne (ce n'est pas l'année de ma forme olympique) en Normandie. Nous y rejoignons ses amis d'Omaha Beach qui tiennent buvette face à la plage du débarquement.
Le ciel est déchaîné et tient la vedette, vents venus du large et pluies tourbillonnantes, incessantes.
C'est la presque nuit durant trois jours.
Sur le visage premier de la terre, l'agriculteur jadis imprima par allées et venues de l'araire le quadrillage de ses cultures. Sur le paysage que voit sans voir le passant, celui que l'habitant pour l'avoir hérité entretient comme support de cultures ou élevages, et de sa vie même, le regard de l'artiste, peintre d'abord photographe aujourd'hui, pose une géométrie sans rien bouleverser, sans toucher même la terre, institue l'apparente banalité en paysage de l'ordre pictural.
En 2005, mon ami Olivier Amiel me fait découvrir Les marais salants de Guérande.
C'est en hiver et le froid est tel que les promeneurs se font rares dans ce paysage, au point que l'on peut s'y croire seul. Je me souviens de lumières très blanches qui virent au métal, et je les retrouve sur les images rapportées, comme elles le seraient si elles avaient été gravées sur une plaque de cuivre.
Il faut découvrir les paysages en hiver.
O.V.