Tziganes entrelacées, Cour du Louvre, hiver 1997
Texte d'Eric Chevillard (la Chambre du secret, Editions Créaphis) :
L’os du crâne ne serait pas si dur s’il n’était le rempart de nos secrets, il ne serait pas si opaque : nous aurions des têtes flasques et translucides si nous n’avions rien à cacher. La lumière les traverserait sans s’y arrêter et il n’y aurait pas de photographie possible. Sans nos secrets, nous serions invisibles. Paradoxe admirable : c’est parce que nous sommes si dissimulés que nous sommes si voyants. On ne peut davantage percer à jour l’homme sans mystère que saisir une poignée d’eau. C’est donc en effet parce que nous nous dérobons que nous sommes vus. La photographie n’est pas un éclair qui foudroie ce qui se dresse et s’expose. Il lui faut une énigme à résoudre. La révélation est son mode d’apparition.
Récréation : occupation, exercice qui fait diversion au travail, qui sert de délassement (Larousse).
La définition du Larousse, laconique par définition, convoque immédiatement un autre mot qui dit le lieu où s’exerce la récréation. Monsieur Loyal, qui se préoccupe du spectacle dirait « en
piste ! », quand un grand chambellan annoncerait « Messieurs, la cour ! ».
Quand Yves Chevallier m’a proposé de travailler, comme photographe, autour des pratiques de lecture, deux mots se sont imposés pour mener la danse : les lisants. Deux mots, nés d’une étrange alchimie, entre « gisants » et « voyants ».
Parce qu’il y a, peut-être, dans la représentation du gisant quelque chose qui en songe continue de vivre et voyage, la permanence des signes. Et parce que pour rejoindre les lisants, il faut être voyant. De toute éternité, nous sommes des lisants. Il y a, autour et en soi, tout à lire.
Un souvenir : peu avant sa disparition, le pianiste Arturo Benedetti Michelangeli doit donner un concert à la salle Pleyel (il ressemble à cette époque à un vieux chien, et cela ne m'empêche
aucunement de le considérer alors comme le plus grand des pianistes).
Je n'assisterai pas à ce concert.
J'ai trouvé mieux et bien au-delà de mes espérances : la veille, franchissant plusieurs obstacles réputés insurmontables (le maître est particulièrement susceptible et n'admet personne quand il
répète, allant parfois même jusqu'à l'annulation du concert en cas de troubles), je réussis à m'introduire en rampant dans la grande salle et demeure ainsi allongé entre deux travées durant tout
le temps de la répétition.
Proposer à un photographe de paysage (identifié comme tel) de porter son regard sur l’identité et la variété des habitants d’une ville peut relever du défi. Pour le commanditaire comme pour
l’auteur.
Quittant momentanément les plaines, et en dépit des mises en garde qui m’avertissaient que peut-être la mariée n’est pas très belle, je suis allé m’y frotter. Durée du voyage entre les corps et
les âmes : dix-huit mois. Regards nouveaux, vie nouvelle. Cergy, j’y erre, dès le premier jour J. Je suis en résidence non surveillée, j’ai carte blanche, je me mets aux commandes.
Il n'est pas rare d'observer dans les travaux de jeunesse - et parmi ceux qui ne s'accompagnent pas nécessairement d'un cortège de maladresses – le germe des préoccupations obstinées qui suivent et qui feront "style".
Aussi, je demeure attaché aux longs temps de pose et fuis volontiers ce fameux "instant décisif" dont H. Cartier Bresson fit son cheval de bataille.
Que serait un site de photographe sans une page dédiée aux vanités?
une pure vanité. Un site de crâneur.
O. V.
Les photographes photographient des nus.
C'est bien connu.
Il délie les langues, extermine les mots inutiles.
Quand le baiser parle sa langue, que la vue se brouille d’être trop proche de son désir, quand il se dépasse sans craindre l’angle mort.